lundi 7 février 2011

Un bref compte rendu des états généraux des SES

A la suite des deux jours du stage national de l’APSES sur la fiscalité, où un économiste, un sociologue et un historien sont venus confronter leurs points de vue, l’amphithéâtre bondé de l’Auberge de Jeunesse d’Artagnan, rue de Vitruve à Paris, accueillait samedi 5 février les états généraux des SES. Cette journée a été l’occasion pour la centaine de participants d’échanger, dans une ambiance d’écoute et de concentration impressionnante, sur les finalités des SES et la façon de riposter aux attaques dont elles font l’objet, notamment à travers le très contesté programme de première.

La journée a débuté par la présentation des résultats de l’enquête de l’APSES sur les conditions d’enseignement et les pratiques pédagogiques dans l’enseignement d’exploration de SES en seconde. L’insatisfaction quasi-unanime ressentie devant l’encyclopédisme d’un programme trop vite conçu, et surtout la place indigne accordée aux Sciences Economiques et Sociales, ravalées à un simple statut d’« enseignement d’exploration » dans la structure de la classe de seconde ont d’ailleurs conduit des personnalités aussi importantes que Christian Baudelot (sociologue), Stéphane Beaud (sociologue), Julien Fretel (politiste), Maurice Godelier (anthropologue), Bernard Lahire (sociologue), Nonna Mayer (politiste), André Orléan (économiste), Thomas Piketty (économiste), Pierre Rosanvallon (Professeur au Collège de France) et Marie-Claire Villeval (économiste) à s’associer à Marjorie Galy, présidente de l’APSES, dans l’« Appel de Vitruve », demandant l’intégration des Sciences Economiques et Sociales au tronc commun de la classe de seconde, avec un horaire revalorisé.

Puis les prises de parole des invités se sont succédé à parité avec les interventions de la salle au cours de deux tables rondes, consacrées à « Quelle place pour les SES dans la formation citoyenne des lycéens ? » (le matin) et à « Quels finalités, principes et contenus pour les programmes de SES ? » (l’après-midi). Quelques moments forts de cette journée peuvent être dégagés.

Tout d’abord, les SES sont une discipline qui marche : les élèves de ES réussissent bien dans l’enseignement supérieur car leur formation, loin d’être une propédeutique aux disciplines universitaires, apportent aux futurs étudiants les moyens d’une réflexivité sur les théories et les objets qu’ils rencontrent dans leurs études. Benjamin Vignolles, bachelier ES et premier prix au concours général de SES en 2007, étudiant à l’ENS Cachan souligne ainsi que le lycée ne l’avait pas préparé à la formalisation mathématique du modèle IS-LM, mais qu’il a moins été surpris que les étudiants issus de S par les résultats, car ses cours de SES sur Keynes lui en avaient donné l’intuition. Dans le même esprit, Louis Chauvel souligne que les élèves de ES qui intègrent Sciences Po, n’ont pas cette vision de la science basée sur la recherche de LA bonne solution, encore si répandue dans la haute fonction publique, mais sont plus à même que les autres à mettre en balance plusieurs approches. Ils sont bien formés à appréhender le pluralisme des approches théorique, le pluralisme des points de vue (i.e. des méthodes de production de la connaissance scientifique : techniques quantitatives, histoire de la pensée, etc.) et le pluralisme des disciplines qu’appelle de ses vœux André Orléan. L’esprit des SES leur permet de faire entrer en discussion les différentes sciences sociales, et de monter en généralité.

Mais malgré (ou à cause de) cette capacité des SES à développer l’esprit critique des élèves, la discipline fait l’objet d’attaques idéologiques, de la part de certains milieux politiques et patronaux. Jacques Guin souligne que les politiques ont émis un avis très critique sur les SES, et ils ont traduit ce rejet dans la commande d’un nouveau programme, qui vise au démantèlement de tout ce qui peut faire sens pour les élèves. Malgré les dénégations véhémentes d’Alain Beitone, qui apparaît comme le principal instigateur de cette entreprise, plusieurs intervenants ont souligné à quel point l’intervention du pouvoir était prégnante dans le processus de rédaction des programmes. Ainsi, Sylvain David est revenu sur les pressions du cabinet du ministre et l’absence de dialogue qui l’ont conduit à démissionner du groupe d’expert, dont la composition (décidée par le politique) est loin d’être représentative du corps des professeurs de SES.

Les futurs programmes de première et de terminale élaborés par le groupe d’expert sont la conséquence concrète de ces attaques idéologiques contre les Sciences Economiques et Sociales. Loin de s’apparenter à un complot, elles procèdent d’une logique systémique de mise au pas de l’éducation dans son ensemble. Stéphane Bonnéry, chercheur en sociologie de l’éducation, souligne ainsi qu’on peut observer une tendance lourde, dans tous les programmes d’enseignement depuis la maternelle, à une disjonction entre les enseignements visant à apporter des contenus disciplinaires et des formes de pensée. Au nom de l’Association Française de Sciences Economiques, Hubert Kempf défend l’analyse traditionnelle de son association sur la nécessité d’apprendre les rudiments avant de passer à leur utilisation rigoureuse. Il n’en regrette pas moins l’encyclopédisme du programme de première, qu’il décrit à la fois comme un programme « académique », trop proche des pratiques universitaire, et une démarche « trop impatiente », visant à fournir une matière première toute prête aux facultés d’économie ou de sociologie, qui n’auraient plus ensuite qu’à raffiner l’analyse. Cette démarche apparait à de nombreux intervenants comme mortifère, aussi bien pour le secondaire que pour le supérieur, car elle ne permet pas, selon la formule de Jacques Guin, de « donner de l’appétit » aux élèves pour les sciences sociales.

Ces état généraux des SES auront donc été un succès, non seulement pour la qualité des interventions, mais aussi pour la mobilisation des différents champs des sciences sociales, du secondaire à l’université. Gageons que futures initiatives permettront de renforcer les liens créés à cette occasion, aussi bien pour lutter contre une vision réductrice des Sciences Economiques et Sociales que pour faire dialoguer les disciplines entre elles.

1 commentaire:

  1. Super ce CR. Merci à tous. Juste un petit regret : rien sur l'excellente intervention de Pierre-Noël Giraud le matin ...

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