Le Prix de sciences économiques de la Banque de Suède en hommage à Alfred Nobel a été attribué lundi 10 octobre à deux économistes états-uniens, Thomas J. Sargent et Christopher A. Sims, tous les deux nés dans les années 1940. Ils s’intéressent aux relations qui existent entre différents événements et les variables économiques globales, comme le produit intérieur brut, le taux d’inflation, l’emploi, etc. Les méthodes statistiques qu’ils ont développées permettent de distinguer les causes et les conséquences au sein de ces multiples interrelations entre variables économiques. Leurs travaux sont couramment utilisés par les banques centrales ou les ministères de l’économie pour répondre à des questions telles que : Quels effets sur l’emploi peut-on attendre d’une modification des taux d’intérêts ou de la politique fiscale ? Quelle influence les objectifs affectés à la banque centrale ont-ils sur l’économie dans son ensemble ? Comment un choc, c’est-à-dire un événement imprévu, comme une augmentation soudaine des prix du pétrole ou une décision inattendue des pouvoirs publics, se transmet-il au reste de l’économie ?
L’originalité de la contribution de Sargent et Sims à la science économique consiste en ceci qu’ils ont permis, à partir des années 1970, de prendre en compte la façon dont les anticipations des agents interagissent avec les changements structurels de politique économique ou les chocs d’offre et de demande. Or, la prise en compte des anticipations complique singulièrement la tâche de l’économiste, qui cherche à construire un modèle mathématique représentant les relations entre les différentes variables macroéconomiques qu’il étudie. En effet, les modifications de l’environnement économique influent sur les anticipations des entreprises et des ménages, ce qui les pousse à modifier leur comportement (ils vont épargner davantage, ou moins investir, etc.). Mais inversement, les décisions de politique économique sont prises en tenant compte de la réaction attendue des agents. Les anticipations sont donc à la fois une cause et une conséquence des événements macroéconomiques. Sargent et Sims ont développé des méthodes qui permettent, à partir d’une masse de données statistiques, de distinguer les mouvements économiques liés aux anticipations et ceux qui en sont indépendants, et qui constituent uniquement une réponse aux premiers.
Depuis les années 1970, la prise en compte des anticipations a profondément renouvelé la science économique. Les travaux des deux lauréats du Nobel d’économie y ont fortement contribué. Ils ouvrent la voie à de nouveaux axes de recherche sur la façon dont se forment ces anticipations elles-mêmes. Signe des temps, leurs théories actuelles s’éloignent quelque peu des modèles d’anticipations rationnelles où les agents analysaient froidement l’information à leur disposition, pour acquérir une meilleure compréhension des événements économiques. Dans les années 2000, les deux chercheurs ont été conduits à mettre davantage l’accent sur l’incertitude à laquelle se trouve confrontée toute personne en situation de prendre des décisions économiques, et les stratégies mises en œuvre pour y faire face. Ils montrent ainsi que, devant l’incapacité des décideurs à analyser correctement toute l’information disponible, il peut être rationnel d’ignorer certains signaux ou d’éviter d’explorer certaines voies, perçues comme trop risquées.
Plus d’informations sur le site nobelprize.org (en anglais) et sur le blog "Ma femme est une économiste" (en français).
F. Combelle
F. Combelle
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